La doxologie qui suit le Notre Père

09/01/2023
La Gloire Divine d'Ozias Leduc en l'église Notre-Dame-de-la-Présentation, Shawinigan Sud
La Gloire Divine d'Ozias Leduc en l'église Notre-Dame-de-la-Présentation, Shawinigan Sud

Durant une grande partie de ma vie, j'ai eu de la difficulté à comprendre le sens de la doxologie (formule liturgique) qui est récitée peu de temps après la prière du Notre Père, à savoir :

Car c'est à Toi qu'appartiennent le Règne, la Puissance et la Gloire aux siècles des siècles.

Pourquoi Dieu aurait-il soif de règne, de puissance et de gloire? N'est-ce pas des désirs purement humains et terrestres? N'est-ce pas une vision anthropomorphique de Dieu? Avant d'examiner plus en profondeur plus la question, j'aimerais traiter de l'origine de cette doxologie.

En passant, les catholiques estiment que la doxologie ne fait pas partie intégrante du Notre Père tandis que les protestants estiment majoritairement le contraire. Je me permets ici de souligner que le Notre Père s'inscrit dans un contexte juif. Or, il n'était pas plus coutumier à l'époque de Jésus qu'à notre époque dans un tel contexte de clore une prière par une requête. La plupart des prières juives se finissent une formule de louanges. Dans cette perspective, la doxologie pourrait très bien faire partie intégrante du Notre Père. En effet, quoi de plus normal que de louanger Dieu après lui avoir présenté nos requêtes.

La doxologie, qui ne figure pas dans le Nouveau Testament, tire une partie de son origine dans la fin du premier Livre des chroniques de la Bible au moment où David présente au peuple son fils Salomon comme son successeur. Voici le texte :

« A Toi, Éternel, la Grandeur, la Force (ou la Puissance) et la Magnificence, l'Éternité et la Gloire, car tout ce qui est au ciel et sur la terre T'appartient; à Toi, Éternel, le Règne, car Tu T'élèves souverainement au-dessus de tout!

La doxologie tire l'autre partie de son origine dans la Didachè, un texte chrétien datant de la fin du Ier siècle qui présente la doctrine du Seigneur transmise aux nations par les douze apôtres.

Même si ce texte ne fait pas partie intégrante du canon, quelques pères de l'Église s'y réfèrent. Même le Vatican y fait encore référence de nos jours dans certains de ses écrits. Il semblerait que la Didachè ait été utilisée au début du christianisme comme manuel pour les catéchumènes.

Voici la partie du texte qui nous intéresse :

Ne priez pas comme les hypocrites, mais comme le Seigneur l'a ordonné dans son évangile, priez ainsi : Notre Père qui est au ciel, que ton nom soit sanctifié, que ton royaume vienne, que ta volonté soit faite sur terre comme au ciel. Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour et remets-nous notre dette comme nous la remettons aussi à nos débiteurs, et ne nous induis pas en tentation, mais délivre-nous du mal, car c'est à toi qu'appartiennent la puissance et la gloire pour les siècles! Priez ainsi trois fois par jour.

Au sujet de l'eucharistie, rendez grâce ainsi. D'abord pour le calice : nous te remercions, ô notre Père, pour la sainte vigne de David ton serviteur, que tu nous as révélée par Jésus ton serviteur. À toi la gloire pour les siècles!

Puis, pour le pain rompu : nous te remercions, ô notre Père, pour la vie et la connaissance, que tu nous as révélées par Jésus ton serviteur. À toi la gloire pour les siècles!

Comme ce pain rompu, autrefois disséminé sur les montagnes, a été recueilli pour devenir un, qu'ainsi ton Église soit rassemblée des extrémités de la terre dans ton royaume. Car c'est à toi qu'appartiennent la gloire et la puissance par Jésus-Christ pour les siècles!

Que personne ne mange et ne boive de votre eucharistie, si ce n'est les baptisés au nom du Seigneur, car c'est à ce sujet que le Seigneur a dit : ne donnez pas ce qui est saint aux chiens.

Après vous être rassasiés, remerciez ainsi : Nous te remercions, Père saint, pour ton saint nom que tu as fait habiter dans nos cœurs, et pour la connaissance, la foi et l'immortalité que tu nous as révélées par Jésus ton serviteur. À toi la gloire pour les siècles!

C'est toi, maître tout-puissant, qui as créé l'univers à l'honneur de ton nom, qui as donné aux hommes la nourriture et la boisson en jouissance pour qu'ils te remercient, et tu nous as donné une nourriture et un breuvage spirituels pour la vie éternelle grâce à ton serviteur. Avant tout, nous te remercions, car tu es puissant. À toi la gloire pour les siècles!

Souviens-toi, Seigneur, de ton Église, délivre-la de tout mal, rend-la parfaite dans ton amour, rassemble-la des quatre vents, elle qui a été sanctifiée pour ton royaume que tu lui as préparé. Car c'est à toi qu'appartiennent la puissance et la gloire pour les siècles!

Toute cette partie du texte de la Didachè fait mention de la gloire et de la puissance, mais ne traite pas du tout du règne. La doxologie comprenant le mot « règne » a été adoptée par Vatican II et insérée dans la messe de rite romain sans être intégrée au Notre Père. En fait, la prière du Notre Père et la doxologie sont séparées par l'embolisme, une prière récitée uniquement par le prêtre (délivre-nous de tout mal, Seigneur, et donne la paix à notre temps : soutenus par ta miséricorde, nous serons libérés de tout péché, à l'abri de toute épreuve nous qui attendons que se réalise cette bienheureuse espérance : l'avènement de Jésus-Christ, notre Sauveur).

Maintenant que nous avons traité de l'origine de la doxologie, j'aimerais aborder sa signification. Commençons par la partie la plus facile, à savoir le Règne. Dans le Notre Père, on demande à Dieu que son règne vienne ou, selon la Didachè, que son royaume vienne. Il n'y a donc rien d'étonnant que le « règne » figure désormais dans la doxologie.

Examinons maintenant de la doxologie dans son ensemble. A priori, on dirait que Dieu a soif de règne, de puissance et de gloire, qu'on lui attribue des désirs purement humains et terrestres. Comme la doxologie tire une partie de son origine dans l'Ancien Testament et comme Dieu y est souvent décrit comme un dieu irascible et vengeur - des traits de caractère parfaitement humains en passant - il est possible d'interpréter la doxologie dans ce sens si on fait une lecture au premier degré.

Si on pousse un peu plus loin notre réflexion, on pourrait aussi comprendre que les règnes, la puissance et la gloire des plus grands dirigeants de ce monde ne sont rien en comparaison de l'ampleur du Règne, de la Puissance et de la Gloire de Dieu. Il s'agit d'une lecture au deuxième degré.

En y réfléchissant davantage, on pourrait aussi comprendre qu'il s'agit d'un vœu. On souhaite que Dieu établisse définitivement son Règne sur terre et qu'il y manifeste sa Puissance et sa Gloire. Il s'agit d'une lecture au troisième degré.

Poursuivons notre raisonnement. On pourrait aussi comprendre qu'on formule le souhait que le Règne de Dieu s'établisse à l'intérieur de la personne qui s'adresse à Lui et qu'il fasse de cette personne un instrument de sa Puissance et de sa Gloire. Il s'agit ici d'une lecture au quatrième degré.

Enfin, si on pousse notre raisonnement vraiment très loin, on pourrait aussi comprendre qu'on demande à Dieu de nous éloigner des désirs de royaume, de puissance et de gloire qui surexcitent notre ego et qui nous éloignent de Son Règne en nous. Il s'agit d'une lecture au cinquième degré.

Au sujet de l'ego, j'aimerais souligner que, dans le Nouveau Testament, ni Jésus, ni les apôtres, ni les disciples ne sont présentés avec un ego démesuré. La voie pavée par Jésus-Christ est justement une vie d'humilité et d'obéissance à la volonté de Dieu. Saint Paul tout comme les Premiers Pères de l'Église l'ont très bien compris.

Après avoir examiné la doxologie de différents points de vue, vous vous demandez peut-être laquelle de ces lectures est la plus fidèle à la signification de la doxologie? Personnellement, je dirais qu'elles le sont toutes et que tout dépend du point de vue de la personne qui la lit ou la récite.

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