Mot en N, dites-vous?

04/12/2022

Trouvez-vous comme moi que l'expression «le mot en N» est une très mauvaise traduction pour «N Word». La préposition «en» marque en général une position de temps ou d'espace ainsi qu'un état. Je ne comprends pas la notion de cette expression.

Selon moi, une meilleure traduction serait «le mot qui commence par un N». À vouloir faire économie des mots à tout prix, on en vient à perdre le sens de l'expression. La juxtaposition des mots est un procédé très peu utilisé en français (comme confiture maison). Malheureusement, l'expression française « le mot en N » semble déjà être passée à l'usage.

Avec le colonialisme et l'impérialisme, le mot en question est devenu encore plus lié à l'esclavagisme, au point où, avec le temps, il est même devenu synonyme d'esclave. Ce mot est non seulement insultant, mais il est aussi très offensant, très humiliant, et très blessant. Il fait systématiquement référence à l'esclavagisme d'une population ainsi qu'aux sévices et à la maltraitance subis par cette population. Il renvoie aussi à la notion subjective, infondée et dépassée de races et à la prétendue supériorité d'un groupe en particulier.

Dans les religions abrahamiques (Judaïsme, Christianisme et Islam), la notion de races se justifierait par un châtiment de Dieu. Il s'agit de la malédiction de Canaan. En résumé, Noé s'enivre et se retrouve nu dans la tente. Cham, le père de Canaan, voit la nudité de son père, et le rapporte à ses deux frères, Sem et Japhet. Ces derniers couvrirent Noé d'un manteau sans regarder la nudité de leur père. Lorsque Noé se réveille, il apprend que Cham l'avait vu nu et maudit le fils de Cham : « Maudit soit Canaan ! Qu'il soit l'esclave des esclaves de ses frères! Béni soit l'Éternel, Dieu de Sem, et que Canaan soit leur esclave ! Que Dieu étende les possessions de Japhet, qu'il habite dans les tentes de Sem, et que Canaan soit leur esclave!». Il est à noter que la couleur de la peau n'est nullement indiquée dans les textes sacrés. Il s'agit d'une interprétation pour justifier l'injustifiable. Trop longtemps, on a utilisé la religion pour défendre des comportements inacceptables et inexcusables.

Vous vous demandez peut-être pourquoi c'est le fils qui est maudit et non pas celui qui a vu la nudité de Noé? À mon avis, c'est parce que la malédiction touche la postérité et ne prend donc pas fin avec Cham.

J'ouvre ici une petite parenthèse pour tenter d'expliquer la signification de l'expression « la nudité de Noé » et la dureté du châtiment. Dans les écrits sacrés, plusieurs expressions doivent être décodées pour être comprises. C'est le cas lorsqu'on parle des pieds, c'est souvent une allusion à caractère sexuel. L'eau des pieds correspond à l'urine. Découvrir les pieds signifie se glisser dans le lit d'un homme. Avoir vu la nudité de son père n'est pas un crime en soi. Mais, qu'est-ce que Cham a donc fait? Il existe plusieurs hypothèses, mais la plus probable à mon avis c'est d'avoir tenté de coucher avec sa propre mère, la femme de Noé. Cela dit, tous les paris sont ouverts (inceste homosexuel, castration du père...). Fin de la parenthèse.

J'aimerais maintenant aborder la notion de races dans l'espèce humaine. Il faut savoir que, dans la deuxième partie du XXe siècle, plusieurs scientifiques ont commencé à s'opposer à cette notion appliquée à l'espèce humaine. Au début du XXIe siècle, la science a réussi à démontrer qu'il n'y a pas de race dans l'espèce humaine grâce à la génomique. Les critères utilisés pour catégoriser les individus selon les supposées races sont infondés scientifiquement, car il y a plus de différences génétiques entre les personnes d'un même groupe dit « racial » qu'entre les personnes de divers groupes dits « raciaux ».

De récentes études épigénétiques montrent qu'on trouve à l'intérieur des marqueurs épigénétiques (ces marqueurs activent ou désactivent les gènes de l'ADN) des traces des traumatismes vécus et de ceux vécus par les ancêtres. Les personnes racisées, c'est-à-dire les personnes assignées à un groupe dit « racial » en fonction de critères subjectifs et scientifiquement infondés, vivent dans leur corps et dans leur psyché les conséquences du racisme que leurs ancêtres et elles-mêmes ont vécu. Autrement dit, les personnes racisées gardent une trace génétique des traumatismes vécus et la transmettent à leur descendance.

J'estime important de traiter tout un chacun avec amabilité, bonté, courtoisie et respect dans la vie, un point c'est tout. Malheureusement, il faut reconnaître que les personnes racisées sont encore aujourd'hui souvent stigmatisées, victimes de discrimination systémique et cantonnées dans des emplois subalternes. C'est beaucoup plus difficile pour ces personnes de trouver un appartement, un emploi bien rémunéré... Ne pas être raciste c'est bien, mais ce n'est pas suffisant. Encore faut-il être conscient de ce que vivent quotidiennement ces personnes afin de pouvoir les traiter avec une grande considération et avec beaucoup d'empathie.

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