Guerre et paix

15/10/2023

Étant profondément idéaliste et humaniste, j'ai la guerre et toutes les barbaries qui s'ensuivent en horreur. En tant que Canadien, il m'est difficile de comprendre comment on peut en arriver à faire la guerre. Mais pourquoi donc entre-t-on en guerre?

Avant de répondre à cette question, j'aimerais d'abord mentionner que la nature n'est pas exempte de violence, bien au contraire. Je dirais même que la violence en constitue un des principes de base. Les mâles s'affrontent pour avoir le droit de s'accoupler. Chez certaines espèces de singes, le vainqueur va jusqu'à tuer la progéniture du perdant. Les animaux les plus faibles se font dévorer par les prédateurs. Les orques vont même jusqu'à se lancer des blanchons (bébés phoques) pour s'amuser comme on le fait avec un ballon. Cela dit, la violence contre des membres d'une même espèce est plutôt rare. Cette violence se retrouve presque exclusivement chez les primates. Les bonobos, par exemple, utilisent un des membres du clan comme bouc émissaire pour résoudre les conflits. Ils le frappent, parfois jusqu'à le blesser ou même le tuer. Malgré son tragique et funeste destin, le bouc émissaire joue un rôle primordial au sein du clan, à savoir le maintien de la paix.

L'être humain vivant lui aussi dans la nature et étant lui aussi un primate, il n'est pas étonnant de constater qu'il est capable de violences et d'atrocités envers ses semblables. Selon l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), il y aurait annuellement plus de 740 000 morts liés à des conflits armés et à des crimes. Même si ce nombre semble astronomique, il ne correspond qu'à 0,00925 % de la population mondiale. Les deux tiers des meurtres commis chaque année, soit environ 490 000, ont lieu en dehors des zones de guerre. Il ne faut pas oublier que chaque homicide a une incidence directe et indirecte dans la vie de tout l'entourage de la malheureuse victime. Chaque meurtre est un meurtre de trop. Tout un chacun devrait avoir le droit de vivre pleinement et entièrement sa vie, sans avoir à craindre de la perdre prématurément dans des conditions atroces. Je suis idéaliste, souvenez-vous!

La guerre consiste en une lutte armée entre clans, factions ou nations. Elle se situe au confluent de la politique et de l'économie. Elle est le résultat de l'échec de la diplomatie. Cet échec se traduit par soit l'adoption de mesures coercitives/répressives, soit la guerre ou, encore, soit les deux éventualités à la fois. À moins d'être un pervers narcissique particulièrement malfaisant, on ne déclenche pas une guerre sans un éventuel butin. Le butin peut être un territoire, une ou plusieurs ressources (notamment l'eau, des terres arables, des métaux précieux ou du pétrole) ou, encore, une nouvelle technologie. Évidemment, un pervers narcissique peut déclarer la guerre dans le seul but de faire souffrir et de tuer des gens uniquement pour assouvir ses instincts sanguinaires. Il peut même le faire contre son propre peuple.

Dans l'Ancien Testament de la Bible, le premier meurtre a lieu dans la Genèse. Caïn, le premier fils d'Adam et d'Ève, tue son frère cadet par jalousie, parce que Dieu accepte les offrandes d'Abel et se détourne des siennes. Dieu le condamne à l'exil et à l'errance. Caïn se plaint alors de son sort en faisant valoir que quiconque le trouvera le tuera assurément. Dieu lui dit alors que si quelqu'un le tue, Caïn serait vengé 7 fois. Dans un autre passage de la Genèse, Lémec reconnaît avoir tué 2 hommes, puis précise que si quelqu'un le tuait, il serait vengé 77 fois (une petite explication s'impose ici : 1 personne tuée = 7 fois; 2 = 77; 3 = 777 -- cette loi de la vengeance est plus qu'exponentielle). Ces deux récits illustrent la loi de la vengeance qui avait cours dans l'Antiquité au Proche-Orient (être vengé 7, 77, 777 fois). Cette loi est censée avoir été abolie et remplacée par la loi du talion (œil pour œil, dent pour dent), mais on voit bien qu'elle est toujours appliquée par certains pays. En passant, j'ai été outré et particulièrement écœuré par toutes les violences commises au nom de Dieu dans l'Ancien Testament. Ces violences y sont décrites avec un tel détachement et une telle satisfaction d'avoir réussi à anéantir une population que j'ai été dégoûté et horrifié en lisant ces passages. Il n'est pas étonnant qu'on en interdisait autrefois la lecture.

Au vingtième siècle, il y a eu 2 guerres mondiales et au moins 65 guerres et conflits. Il y aurait eu entre 35 et 40 millions de soldats tués sur la planète durant ce siècle. Le nombre de victimes civiles tuées en temps de guerre a bien beau être inconnu, on n'a pas de mal à imaginer qu'il est astronomique. Tellement de vies écourtées à cause d'affrontements armés. Tellement de malheurs et de désolation dans le monde causés par la guerre.

Comme je le mentionnais dans mon billet sur le mot en N, de récentes études épigénétiques montrent qu'on trouve à l'intérieur des marqueurs épigénétiques des traces des traumatismes vécus par les ancêtres. Si on applique cette découverte aux personnes qui vivent là où la guerre a sévi, celles-ci vivent dans leur corps et dans leur psyché les conséquences des traumatismes que leurs ancêtres ont vécus en temps de guerre. Autrement dit, ces personnes gardent une trace génétique des traumatismes vécus et la transmettent à leur descendance. Qui désire vraiment transmettre un tel héritage à sa descendance?

En temps de guerre, l'homme peut faire preuve d'une extrême cruauté envers ses semblables. Pour éviter de tels dérapages, il existe des traités internationaux qui régissent la conduite des conflits armés. Il s'agit des Conventions de Genève de 1949 et des trois protocoles additionnels connexes (les deux premiers adoptés en 1977 et le dernier en 2005). L'objectif de ces conventions et de ces protocoles est de limiter les conséquences des conflits armés sur la population ainsi que d'assurer la protection des civils, des membres de l'aide humanitaire, des blessés et des prisonniers. Ces conventions ont été ratifiées par chacun des États du monde, ce qui signifie que tous les pays se sont engagés à en respecter les dispositions.

Ces conventions et protocoles interdisent les crimes de guerre suivants :

  • pratiquer toute forme de torture, y compris la privation de sommeil, la quasi-noyade, les décharges électriques et la privation de nourriture et d'eau;

  • porter atteinte à l'intégrité physique (p. ex. amputations);
  • utiliser des êtres humains comme cobayes;
  • contraindre des gens à combattre dans les forces ennemies et déporter une population.

D'autres actions sont considérées comme des violations graves à des lois et coutumes applicables aux conflits armés dans le cadre du droit international, à savoir :

  • attaquer intentionnellement la population civile, des objectifs non militaires, les missions d'aide humanitaire et de maintien de la paix, les habitations civiles, des villes et villages entiers;

  • tuer ou blesser un combattant qui vient de se rendre;
  • agiter le pavillon parlementaire (drapeau blanc) dans un autre but que se rendre,
  • transférer une partie de sa population dans le territoire qu'elle occupe;
  • déporter hors du territoire occupé une partie ou la totalité de population de ce territoire;
  • cibler des immeubles consacrés à la religion, à l'enseignement, à l'art, à la science ou à l'action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades ou des blessés sont rassemblés;

  • soumettre des personnes à des mutilations ou à des expériences médicales ou scientifiques;

  • tuer ou blesser des personnes par traîtrise;
  • détruire ou saisir les biens de la partie adverse, à moins que l'action soit commandée par la nécessité de la guerre;

  • suspendre les droits et actions en justice des personnes de la partie adverse;
  • contraindre des personnes de la partie adverse à prendre part aux opérations de guerre contre leur pays;

  • piller une localité ou une ville;
  • utiliser du poison ou des armes empoisonnées, du gaz asphyxiant ou toxique, ainsi que tout liquide, matière ou procédé analogue;

  • utiliser certains types de balles, des armes, des matières et des méthodes causant de grands dommages et de grandes souffrances physiques aux victimes;

  • porter atteinte à la dignité humaine, notamment les traitements humiliants et dégradants;
  • commettre le viol, pratiquer l'esclavage sexuel, forcer toute personne à agir comme esclave sexuel ou comme prostituée, pratiquer la stérilisation et commettre toute autre forme de violence sexuelle;

  • réunir en bouclier humain des civils près ou à l'intérieur d'objectifs militaires pour éviter qu'ils soient la cible d'opérations militaires;

  • attaquer les moyens de transports sanitaires;
  • procéder à des prises d'otages;
  • affamer délibérément des civils et les priver de biens indispensables à leur survie, y compris les secours prévus par les Conventions de Genève;

  • procéder à la conscription ou à l'enrôlement d'enfants de moins de 15 ans.

Les auteurs de crimes de guerre et d'actions considérées comme des violations graves à des lois et coutumes applicables aux conflits armés encourent une responsabilité pénale personnelle au regard du droit international. C'est à la Cour pénale internationale (CPI) qu'il revient de juger les crimes de guerre et les violations graves dans le cadre des conflits armés.

En 1991, la Commission internationale humanitaire d'établissement des faits (CIHÉF) a été officiellement établie dans le but de mettre en application une disposition de l'article 90 du premier protocole additionnel connexe aux Conventions de Genève de 1949. Cet article prévoit justement la constitution de cette commission et lui octroi le pouvoir d'enquêter sur tout fait prétendu être une infraction (crimes de guerre) ou être une violation grave au droit international humanitaire. Cette commission constitue un organe indispensable pour aider les états à veiller à l'application et à l'observation du droit humanitaire en temps de conflit armé.

Le 12 novembre 2019, la Russie s'est retirée de l'article 90 du premier protocole additionnel. Elle estime que cet article présente des risques accrus d'abus de pouvoir par des états sans scrupule. Autrement dit, la Russie ne reconnaît plus la compétence du CIHÉF, car elle craint d'être poursuivie pour d'éventuelles infractions et violations dans le cadre de ses opérations militaires. Il est à noter que les États-Unis, la Chine et la France n'ont toujours pas rejoint le CIHÉF pour les mêmes raisons. Personnellement, je suis outré par la décision de ces pays de ne pas adhérer à l'article 90. Une telle décision en dit long sur leurs réelles intentions : se donner le droit de perpétrer des exactions en toute impunité. Ils ne veulent surtout pas être inquiétés et avoir des comptes à rendre en cas d'éventuelles infractions et violations graves. Tous les moyens sont bons pour arriver à leurs fins, même les moyens les plus cruels.

Chaque peuple a besoin d'un territoire et d'un accès aux ressources naturelles (notamment l'eau) pour vivre. Les changements climatiques vont modifier considérablement la donne : certains devront s'expatrier tandis que les d'autres devront accueillir les réfugier et apprendre à partager leur territoire et les ressources naturelles avec les nouveaux arrivants. Chaque peuple aspire aussi à une prospérité durable pour assurer sa survivance. La paupérisation grandissante des classes moyennes compromet de plus en plus la prospérité durable et va générer d'incroyables tensions dans le tissu social. Les changements climatiques et la paupérisation des classes moyennes constituent les deux grands défis du vingt et unième siècle et seront certainement sources de nouveaux conflits.

La guerre contribue énormément à l'enrichissement des armuriers. La guerre est même devenue un secteur économique particulièrement prospère. On la désigne sous le vocable « industrie de l'armement ». L'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm évalue à 531 milliards de dollars le chiffre d'affaires des 100 plus grands groupes de cette industrie pour 2020. La moitié de ce montant revenait à des entreprises américaines. Les 5 géants de cette industrie sont tous américains :

  • Lockheed-Martin;
  • Raytheon Technologies;
  • Boeing;
  • Northrop Grumman;
  • General Dynamics.

Il faut dire que l'industrie de l'armement est soutenue par une demande émanant de divers pays pour du matériel militaire et par des commandes qui s'échelonnent sur plusieurs années. Le 2 novembre 2021, le Pape François invitait les dirigeants des pays à mettre fin aux guerres et à repenser l'ordre économique mondial pour que les économiques domestiques ne soient plus fortifiées par l'industrie de l'armement. Il a aussi ajouté que les soldats défunts nous demandent d'arrêter de fabriquer des armes et d'arrêter de faire la guerre. Il a conclu son homélie en demandant à Dieu de nous aider à œuvrer sans relâche à la paix dans le monde. Voilà quelqu'un de plus idéaliste que moi!

Personnellement, j'estime qu'il serait temps de changer de paradigme, c'est-à-dire cesser de croire qu'il faille préparer la guerre pour instaurer la paix dans le monde ou cesser de tenir pour vrai l'expression « qui veut la paix prépare la guerre » de Léon Blum. Pour instaurer une véritable paix durable dans le monde, il faut tout d'abord renoncer à l'antique loi de la vengeance (7 ou 77 fois) et à la loi du talion, lesquelles lois constituent le plus grand obstacle à la paix à mon avis. Il faut aussi parlementer avec la partie adverse dans le but de trouver un compromis acceptable sans perdant, soigner les plaies physiques, morales et émotionnelles du passé, demander l'aide de Dieu pour arriver enfin à pardonner les exactions du passé et apprendre à cohabiter sur un même territoire et à partager les ressources naturelles. Avec les bouleversements causés par les changements climatiques, il est de plus en plus urgent d'en finir avec les conflits armés, de mettre l'accent sur la spiritualité plutôt que sur le matérialisme ainsi que de s'entraider plutôt que de s'entretuer. Comme l'a si bien dit André Malraux, « le vingt et unième siècle sera spirituel ou ne sera pas ».

Dans la philosophie bouddhiste, on ne s'intéresse pas au monde matériel, car il est considéré comme une illusion, cause de la souffrance de l'homme. Ainsi, on ne fait aucune spéculation intellectuelle théorique sur la création du monde. On cherche plutôt à se libérer des 5 formes d'attachement au monde matériel (la matière, la sensation, la perception, les formes mentales et la conscience). Pour ce faire, on cherche à réfréner ses passions que sont les plaisirs des sens, l'ardent désir de revenir sur terre après la mort (réincarnation) et la ferme volonté de se libérer du monde matériel uniquement pour ne plus connaître d'insatisfaction et pour ne plus subir la souffrance. Lorsqu'un bouddhiste réussit à renoncer à l'avidité et aux désirs, il cesse de souffrir et se libérera complètement du cycle de la réincarnation à sa mort. Dans ce contexte, on comprend bien que les vrais bouddhistes ne s'impliqueraient jamais dans une guerre. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Dalaï-Lama s'est exilé en Inde plutôt que prendre les armes.

Dans le Nouveau Testament, Jésus nous convie à aimer notre prochain comme nous-mêmes. Ce message était révolutionnaire à l'époque et l'est encore aujourd'hui. Aimer son prochain comme soi-même est très exigeant et contraignant. C'est toute une philosophie de vie qui exclut les conflits et les guerres. Malheureusement, l'histoire nous a bien démontré que l'amour du prochain a été bafouée de nombreuses fois par des dirigeants chrétiens.

Quant à l'hindouisme, Gandhi prônait la désobéissance civile fondée sur la non-violence. Il a su montrer au monde entier qu'on peut réussir à chasser un peuple conquérant sans faire de guerre. Personnellement, j'estime que Gandhi est une être particulièrement évoluée et qu'on aurait tout intérêt à suivre son principe de non-violence.

J'aimerais terminer ce billet en citant une locution de Tacite qui figure dans sa biographie d'Agricola (le beau-père de Tacite) : ubi solitudinem pacem appellant. Cette locution pourrait se traduire par « là où ils ont fait un désert, ils disent qu'ils ont fait la paix ». Elle montre bien qu'une fois la guerre finie, les vaincus constatent avec horreur et amertume l'ampleur des ravages incommensurables infligés par les gagnants. Elle rappelle aussi que « la fin de la guerre » n'est pas synonyme de « paix ».

En vous invitant à prier pour l'établissement de la paix dans le monde, je vous transmets tous mes vœux de paix profonde.

Photo de LaPresse montrant le résultat de 10 ans de guerre en Syrie.
Photo de LaPresse montrant le résultat de 10 ans de guerre en Syrie.
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